Histoire et curiosités de l’impression musicale : l’évolution des partitions

Histoire et curiosités de l’impression musicale : l’évolution des partitions

Eugenia Luchetta Publié le 6/14/2024

Lorsque nous parlons de l’histoire de l’imprimerie, nous nous référons à l’histoire des mots imprimés. Cependant, parallèlement à l’impression des mots, l’impression d’un autre système de notation s’est développée : celui de la musique. Les textes et les partitions imprimées se sont développés en parallèle, partageant les technologies et les progrès, mais la publication de la musique sous forme imprimée a entraîné des complexités et des défis qui ont parfois fait dévier son chemin d’évolution.

Vous trouverez ci-dessous les grandes lignes de ce parcours, au cours duquel la notation musicale a été inventée et réinventée à plusieurs reprises, passant de quelques indications simples sur la manière d’énoncer les vers d’une chanson à un système complexe capable de donner des informations précises sur les notes, la hauteur, le rythme… pour un orchestre entier.

Antiquité : les ancêtres des partitions modernes

Les premières formes de notation musicale sont apparues avant même que le papier et le parchemin ne soient utilisés comme supports d’écriture. La forme la plus ancienne a été trouvée dans une tablette cunéiforme créée en Babylonie (l’Irak d’aujourd’hui), vers 2000 avant Jésus-Christ. Des formes de notation musicale étaient également courantes dans la Grèce antique depuis au moins le VIe siècle avant J.-C., où des symboles placés sur les syllabes donnaient des informations sur la hauteur des sons.

Moyen Âge : la musique dans les manuscrits enluminés

L’invention de la notation musicale moderne, avec l’adoption systématique du tétragramme (remplacé plus tard par le pentagramme), est due à Guido Monk vers l’an 1000. Bien que, dans la plupart des cas, la musique ait continué à être transmise principalement oralement, elle a commencé à être transcrite à la main dans les abbayes, avec beaucoup de travail, dans des codex enluminés, accompagnés de précieuses illustrations et décorations.

Codex Squarcialupi, un codex musical manuscrit réalisé à Florence au début du XVe siècle, Bibliothèque Médicis Laurentienne (Florence).
“Sumer is icumen in”, canon médiéval anglais de la fin du XIIIe siècle, British Library.

Impression typographique : Ottaviano Petrucci et John Rastell

Avec l’invention de l’imprimerie à caractères mobiles au XVe siècle, l’imprimerie est devenue le moyen le plus courant de produire et de diffuser des textes, alors que la musique continuait à circuler sur des manuscrits écrits à la main. Cela s’explique en partie par l’absence d’une notation musicale uniforme et partagée, mais surtout par la difficulté technique d’intégrer et d’aligner les notes et les lignes musicales, ainsi qu’un éventuel texte. Souvent, les lignes ont été ajoutées à la main avant ou après l’impression de la musique. D’autres fois, les lignes étaient imprimées et les scribes ajoutaient ensuite les notes et les textes à la main.

Ottaviano Petrucci, l’un des imprimeurs de musique les plus novateurs au tournant des XVe et XVIe siècles, a adopté un système de triple impression des lignes, du texte et des notes en trois étapes successives. Les résultats étaient nets et élégants, mais le processus était trop long et difficile – l’alignement précis des trois impressions exigeait une grande habileté – et n’était pas reproductible à grande échelle. En 1520, l’Anglais John Rastell conçoit un modèle différent dans lequel les lignes, les mots et les notes font partie du même caractère et ne nécessitent donc qu’une seule impression. Cette méthode, préférée à celle de Petrucci, bien que moins précise, se répandit dans toute l’Europe, où elle devint la norme jusqu’à l’adoption de la gravure sur cuivre au XVIIe siècle.

Ottaviano Petrucci, Harmonice Musices Odhecaton, 1501
A gauche : assemblage des personnages. Des morceaux d’autres personnages ont été ajoutés pour placer des notes dans différentes parties des lignes
À droite : caractères mobiles musicaux. Images de musicprintinghistory.org

La gravure sur plaque : la méthode la plus utilisée jusqu’à l’époque moderne
La limite des caractères mobiles résidait dans leur nature statique, qui rendait impossible la reproduction de nombreux détails des manuscrits faits à la main. Les imprimeurs se sont donc tournés vers d’autres techniques d’impression, dont la gravure. Ce procédé consistait à graver des lignes, des notes et du texte directement sur la plaque, qui était ensuite encrée et utilisée pour imprimer sur le papier. Le résultat de l’impression était d’une telle qualité que des éditeurs de musique comme G. Henle Verlag ont continué à graver des partitions à la main jusqu’en l’an 2000.

Au début, les plaques étaient gravées librement à la main. Plus tard, des outils spéciaux ont été conçus pour les différents éléments.

  • Ciseaux à bois pour les partitions
  • Les burins elliptiques pour le crescendo et le diminuendo
  • Les burins plats pour lier les coupes supplémentaires
  • Poinçons pour les notes, les clés, les altérations et les lettres

La gravure sur plaque a été la méthode privilégiée pour l’impression des partitions jusqu’à la fin du XIXe siècle, où son déclin a été décrété par le développement de la technologie photographique.

Processus de fabrication d’une plaque de gravure à la main. Image by
musicprintinghistory.org

L’écriture manuscrite : l’importance des notations à la main

Le développement de l’impression des partitions a contribué à la standardisation des symboles de notation musicale, laissant peu de place aux inévitables variations résultant de la transcription manuelle. Les compositeurs ont néanmoins continué à écrire leur musique à la main, avant de la confier à un copiste, puis à un imprimeur pour sa diffusion.

Avec la généralisation de l’impression par gravure, les feuilles de musique comportant des lignes déjà imprimées sur lesquelles on peut écrire des notes sont devenues courantes. Au XXe siècle, les partitions sont parfois imprimées sur du papier calque ou du papier voile, ce qui permet au compositeur de corriger et de réviser plus facilement l’œuvre, mais aussi de reproduire l’écriture en plusieurs exemplaires grâce à un procédé d’exposition photographique. Si le papier utilisé était opaque, il devait avoir une texture fine afin que l’encre ne se dilate pas. L’encre est toujours strictement noire.

“Phantasie für eine Orgelwalze”, Allegro et Andante en fa mineur, Mozart. Manuscrit original

Ordinateurs et partitions : les logiciels de notation musicale

Comme pratiquement tous les autres processus, les ordinateurs ont également révolutionné la manière dont les partitions sont écrites et produites. En effet, il existe aujourd’hui des logiciels de notation musicale (tels que Finale ou Sibelius) qui, à l’instar d’un programme de traitement de texte, permettent de taper, d’éditer et d’imprimer des partitions. Les logiciels de notation musicale facilitent différents aspects, notamment les corrections, l’extraction des parties pour l’orchestre, la transposition de la musique entre différents instruments, le changement de tonalité d’un morceau et bien d’autres tâches. Certains logiciels permettent même de tester la musique en jouant numériquement des instruments qui donnent une idée du son d’un instrument réel.

Sibelius.

Différentes méthodes de représentation de la musique continuent d’évoluer. Certaines sont des alternatives, ou des méthodes de soutien, pour des instruments particuliers. Par exemple, il existe des pictogrammes pour les instruments à vent, qui indiquent les trous à couvrir, ou différents systèmes pour les instruments à percussion, qui ne produisent pas de notes d’une hauteur précise. Des formes alternatives de notation existent également pour la guitare, un instrument très répandu aujourd’hui.

Quoi qu’il en soit, la normalisation de la notation musicale sous forme de partition représente une grande avancée dans l’éducation musicale occidentale. L’imprimerie a poursuivi et tenté de reproduire mécaniquement la notation aussi précisément que possible pendant des siècles, mais, d’un autre côté, c’est aussi grâce à l’imprimerie elle-même que la standardisation d’un système aussi complexe a été possible.